À l’origine du Festival Européen du Court-Métrage de Bordeaux, l’association Extérieur Nuit et ses bénévoles passionnés s’engagent également à vous faire découvrir réalisateurs prometteurs et films marquants avec leur ambitieux projet Le Court des Grands. Une soirée inoubliable qui se focalise sur les créations d’un réalisateur ou d’une réalisatrice et qui s’intéresse plus particulièrement aux premiers longs métrages. Une ode à de nouveaux auteurs prêts à conquérir le cinéma français et international. En partenariat avec le cinéma Jean Eustache, la première édition du Court des Grands s’est réalisée en novembre dernier avec le magistral Les Misérables de Ladj Ly ainsi que son documentaire 365 jours à Clichy-Montfermeil, réalisé en collaboration avec le collectif Kourtrajmé.
Extérieur Nuit ne lésine pas avec une deuxième édition engagée et prestigieuse. C’est cette fois-ci un réalisateur primé dont l’oeuvre se dresse contre une société aux injonctions de masculinité multiples et pour l’ouverture d’un dialogue sur la construction émotionnelle et psychique des adolescents. Il s’agit bien sûr de Benjamin Parent, réalisateur célébré à Cannes et au Festival du Film de Sarlat pour son court métrage « Ce n’est pas un film de cow-boys » qui traite de la réelle difficulté d’être un homme tel que la société le dicte. Son premier long métrage « Un vrai bonhomme » est une fresque touchante d’un jeune homme discret et renfermé, Tom, qui grandit dans l’ombre de son frère charismatique, Léo. C’est lorsque Léo périt dans un accident de voiture que Tom se voit imaginer son frère le guider dans les moments délicats de son adolescence. Tourmenté par sa sexualité, sa virilité, son incapacité à être à la hauteur des exigences masculines qui ne lui ressemblent pas et sa famille déchirée par la perte d’un fils. Le spectateur suit Tom et le fantôme de Léo dans un film vrai, tout aussi drôle que poignant et représentatif de la difficulté de l’acceptation de soi.
Feather a eu la chance de discuter avec Benjamin Parent. Son premier long métrage, son envie d’aborder les doutes de l’adolescence et la naissance d’un scénario original, découvrez notre rencontre avec un réalisateur de talent !
« Un vrai bonhomme » est votre premier long métrage, comment vous ai venu l’idée du film ?
L’idée m’est venue il y a quelques années, je crois que c’était en 2014 ou 2015. Je travaillais sur une série que j’ai créé qui s’appelle « Les Grands ». En travaillant sur le projet avec deux autres auteurs, nous avions eu l’idée de ce gamin pas très grand ou très viril (Tom) qui va se faire aider par l’image de son grand frère décédé (Léo). On a essayé de voir si on pouvait l’intégrer dans la série mais cela paraissait impossible donc deux ans plus tard, je l’ai pitché à ma productrice actuelle qui a beaucoup aimé. On a donc décidé que ce serait mon premier long métrage.
Comment s’est passée la rencontre entre les deux jeunes acteurs, Thomas Guy et Benjamin Voisin ?
Ils se sont rencontrés en casting. Je leur ai fait passer des essais. J’hésitais entre plusieurs comédiens donc j’ai fait des combinaisons pour voir comment cela pouvait marcher. Et Benjamin (Léo) s’est tout de suite imposé comme étant un super grand frère. Et Thomas Guy (Tom), qui n’était pas exactement le personnage tel que je me l’imaginais complètement, apportait quand même quelque chose que je trouvais très intéressant. Ensuite, je leur ai donné des exercices à faire ensemble pour essayer de créer une complicité, de se créer des souvenirs communs qu’ils avaient pu vivre ensemble avant la disparition du grand frère. Ce que je trouvais intéressant aussi c’est qu’ils étaient très différents. Même en étant frères, on comprend que ce n’est pas facile pour quelqu’un comme Tom de grandir avec un frère comme Léo qui est très charismatique. J’aimais bien le contraste entre les deux qui est aussi un contraste que l’on retrouve chez eux en tant que comédiens. Benjamin a 23 ans, 5 ans de plus que Thomas et surtout plus d’expérience que lui. La relation s’est construite également entre les deux comédiens et c’était important pour la construction des personnages.
« C’est un film sur le deuil de l’être aimé mais aussi sur le deuil d’une forme de masculinité qui n’est pas celle du héros et à laquelle il doit renoncer. C’est une masculinité qui est plus ou moins imposée »
Pourquoi est-ce important pour vous d’aborder les attentes d’un jeune homme vis à vis de sa sexualité ou de son identité à l’adolescence ?
C’est un sujet que j’ai déjà abordé dans mon court métrage en 2012. Sauf qu’ à l’époque je ne me rendais pas compte que c’était un sujet, je me suis rendu compte que finalement ce qui m’intéressait c’était les injonctions de virilité et toute ces choses là. Et je me suis aussi rendu compte que c’était ce dont j’avais souffert étant adolescent.
D’ailleurs, un documentaire est passé sur ARTE récemment qui s’appelle "Des hommes, des vrais" et les premières phrases du documentaire sont : « Moi j’ai grandi dans ma chambre avec des idoles comme Stalone ou Schwarzenegger ». C’est exactement des choses que j’ai pu dire en interview il y a trois semaines. J’ai grandi dans les années 80 ou il y avait ce mythe du surhomme qui venait du cinéma américain. D’une part je me suis rendu compte que c’était un sujet dont j’avais envie de parler et d‘autre part que c’était quelque chose dont j’avais souffert parce qu’en étant adolescent on abordait pas ce genre de choses. On parlait des injonctions de féminité mais pas de virilité. Petit à petit j’ai creusé, j’ai lu des livres notamment Le Mythe de la virilité de Olivia Gazalé et cela m’a permis de nourrir ma réflexion sur le sujet.
Il y a deux choses : je pense que c’est un sujet de société très important aujourd’hui notamment quand on parle de mouvements comme Me Too, ce sont des choses qui sont extrêmement liées c’est à dire qu’il faut adresser ce qu’il se passe à l’égard des violences faites aux femmes, c’est certain, mais il faut aussi s’interroger sur comment des hommes en viennent à agir de cette façon. Comment on remonte à la source du problème. J’avais envie de traiter cela mais d’une manière pas trop frontale, je voulais que les personnages en parlent et que ce soit le fond du film. Toutes les scènes du film abordent ce sujet mais pas de manière directe.
Une autre chose aussi ; quand on est adolescent, on essaie de se construire, de trouver qui on est ou, du moins de trouver qui les autres pensent qu’on est. C’est très exacerbé ces comportements liés à la virilité car ce sont des comportements que l’on projette mais ça ne nous dit pas si on est réellement comme ça au fond. Dans mon court métrage, je traitais de cette apparence, lorsqu’on veut faire croire qu’on est fort, que les garçons ne pleurent pas, toutes ces idioties. Je voulais montrer comment Léo pouvait incarner ces injonctions dont lui-même avait été victime de son vivant.
« Faire des films accessibles est très important, en tant qu’auteur. Si on veut dire quelque chose d’intéressant et que la forme utilisée est élitiste, nos discours ne seront pas entendus. »
« Un vrai bonhomme » est aussi un film sur la perte et le deuil, pourquoi avoir choisi que Léo soit tout le temps aux côtés de son frère et non pas représenté à travers des flashbacks ou une voix dans sa tête par exemple ?
Si Léo était juste parti faire Sport-co à 300 km, il ne pourrait être à ses côtés quand Tom se fait emmerder dans les vestiaires par exemple. Justement ce qui m’intéressait c’était comment son grand frère pouvait l’aider. Léo est là tout le temps parce qu’il n’existe pas. Et ça me permet de revisiter plein de scènes de films d’ados. Être pris le dernier en sport par exemple ce qui n’a rien d’exceptionnel mais ce qui est intéressant c’est de montrer la psyché du personnage de Léo que personne ne voit mais qui reflète ce que Tom pense. La présence de Léo permet de filmer et montrer ce qu’il se passe à l’intérieur de Tom. Pour ce qui est de la mort, au départ je n’avais pas l’impression de faire un film sur le deuil, je me rend compte que c’est un film sur le deuil de l’être aimé mais aussi sur le deuil d’une forme de masculinité qui n’est pas celle du héros et à laquelle il doit renoncer. C’est une masculinité qui est plus ou moins imposée, celle de l’homme fort.
Percevez-vous une attente différente vis à vis du public par rapport à votre court métrage ?
Oui par la force des choses bien sûr. Parce que les enjeux sont différents. Avec le court métrage je n’avais pas vraiment d’attentes quand je l’ai réalisé mais le premier long métrage j’en ai forcément un peu plus. Je sais que quand on a commencé à montrer le film, il a été plutôt bien accueilli. Je suis satisfait de la manière dont ça se passe à savoir que les gens sont touchés par le film et comprennent, en majorité, de quoi il s’agit. L’attente est différente mais à juste titre parce que c’est un format différent et que quand on fait un long métrage le but c’est d’être autorisé à en faire un deuxième derrière.
Quels sont les films qui vous ont marqué cette année ou que vous avez hâte de voir en 2020 ?
Ce qui m’a beaucoup marqué c’est Parasite, j’ai trouvé ça super. C’est ce que j’appelle un film ultime dans le sens ou ça peut parler à tout les spectateurs, qu’ils soient cinéphiles ou pas. C’est un film qui raconte des histoires par l’écriture, par la mise en scène et qui est extrêmement complet. Qui est accessible aussi, ce qui est très important parce que si on veut dire des choses intéressantes mais que la forme qu’on emploi est élitiste, ça ne m’intéresse pas en tant qu’auteur dans le sens ou nos discours ne seront pas entendus. Sinon j’attend avec impatience le prochain Xavier Giannoli parce que Benjamin tient le premier rôle.
Un tourbillon d’émotion, de mise en lumière sur les mythes de notre société, un premier long-métrage avec de jeunes acteurs prometteurs et une rencontre avec un réalisateur inspirant, tout cela au cinéma Jean Eustache, ce mercredi 8 janvier pour seulement 4 euros, Extérieur Nuit vous propose une expérience cinématographique de taille afin d’accompagner votre rentrée d’un moment de culture inoubliable. Alors à mercredi pour la deuxième édition de Le Court des Grands !
Le mot de la fin de Benjamin Parent : « Le film va sortir et nous sommes encore en période de grève, je sais que ce n’est pas évident et que les gens n’ont peut être pas la tête à ça mais j’espère qu’ils vont aller au cinéma et passer un bon moment. J’encourage les gens à aller au cinéma pour rire et essayer d’oublier ce qu’il se passe en ce moment »
Infos Pratiques :
Cinéma Jean Eustache de Pessac
mercredi 8 janvier, à 20h30
4 euros
Louise Naudot I 02/01/2020
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