Il y a quelques semaines Feather s’est intéressé au projet Festival en Mouvements porté par le RIM (Réseau des Indépendants de la musique) qui réfléchit à réduire l’empreinte carbone causée par les mobilités des festivaliers. Sur la Nouvelle-Aquitaine, le RIM collabore avec quatre festivals partenaires : Bordeaux Open Air, Arte Flamenco, le Reggae Sun Ska et Musicalarue.
Si de gros efforts sont déjà menés par les organisateurs pour limiter l’impact environnemental de tels événements, notamment sur l’utilisation du plastique à usage unique ou la gestion des déchets, le RIM soulève une problématique concrète qui a retenu notre attention.
Nous avons eu l’occasion de discuter avec trois actrices majeures du projet.
Malika Vignon, chargée de mission développement durable et partenariats responsables au sein du RIM, mène des projets d’ordres collectifs depuis des années avec notamment le collectif R2D2. Elle était accompagnée de Zoé Corsini, administratrice adjointe au RIM, durant l’interview.
Julia Kügler, chargée de production chez Bordeaux Open Air, a su se laisser guider par ses convictions personnelles pour emmener le festival emblématique de la ville de Bordeaux vers un impact écologique de plus en plus affaibli.
Enfin, Claire Lacomme est chargée de production et référente éco-festival chez Arte Flamenco et a largement contribué, grâce à sa persévérance et à ses convictions, à limiter la pollution, le gaspillage alimentaire et le surplus de déchets sur le festival depuis son arrivée il y a deux ans.
Le RIM et le projet Festivals en mouvement
Le Réseau des Indépendants de la Musique (RIM) est un réseau qui rassemble les acteurs de l’écosystème des musiques actuelles en Nouvelle-Aquitaine. Il rassemble aujourd’hui 208 adhérents dont l’ambition est de créer un écosystème favorable à un développement durable, équitable, coopératif et solidaire des musiques actuelles dans la région, sur la base d’un socle de valeurs partagées. Le RIM accompagne les acteurs de la musique sur des enjeux clés comme la lutte contre les violences sexistes et sexuelles avec la campagne de prévention « Ici, c’est cool ! » ou la diminution voire la suppression des déchets plastiques sur les événements avec le dispositif « Drastic on Plastic » porté en France par le collectif R2D2.
Le réseau œuvre également à faire du lien, à provoquer des rencontres entre les acteurs de la scène musicale de la Nouvelle-Aquitaine grâce à des forums et des rencontres comme la « Route du RIM ». Enfin le réseau met un point d’honneur à valoriser les projets artistiques et culturels, à faire rayonner les productions musicales régionales et à favoriser le dialogue entre les acteurs et les partenaires publics pour développer les politiques publiques en faveur des musiques actuelles.
Festivals en mouvement : elles-en parlent !
On était très enthousiastes à l’idée de rencontrer Malika, Zoé, Claire et Julia pour parler très concrètement du projet et de sa mise en œuvre. Festivals en mouvement est un projet qui a pour but de réfléchir à comment réduire les émissions de gaz à effet de serre liées au transport dans les festivals à l’horizon 2030. Selon un chiffre du RIM, 80% de l’impact carbone d’un festival réside dans les déplacements des publics et des équipes. Des solutions existent mais elles sont complexes et représentent un vrai défi.
Comment s’est monté le projet ?
Malika : Le projet est né du collectif des festivals et de R2D2. La question de la mobilité est un angle mort pour les structures culturelles et les festivals. Beaucoup d’efforts sont faits sur le reste pour des festivals plus éco-responsables, mais les mobilités sont une vraie problématique. Il y a deux ans on s’est dit qu’on ne pouvait plus passer à côté. Le collectif des festivals en Bretagne, une association, a répondu à un appel à projet avec des financements européens. Le collectif a appelé le RIM et j’ai voulu me lancer sur ce projet, en binôme, avec Zoé. On a choisi de ne pas partir sur le point du bilan carbone car c’est un terme trop réducteur pour s’attaquer à la question de la mobilité. Au lieu de calculer la masse, on pense qu’il est surtout important de comprendre pourquoi et comment les festivaliers se déplacent. Le projet nous a parlé car il est prévu sur trois ans, un délai qui nous laisse le temps d’analyser, d’expérimenter et de comprendre.
Comment s’est organisé le partenariat entre le RIM et les festivals partenaires sur le projet Festivals en mouvement ?
Malika : Il existe à l’échelle de la France plusieurs réseaux équivalents et chaque réseau régional s’occupe d’une enveloppe de festivals. On a naturellement fait appel à nos adhérents en leur proposant de faire partie de la démarche.
Julia : Bordeaux Open Air est impliqué dans la filière régionale grâce et avec le RIM, à travers des appels à projets d’institutions, des thématiques éco-responsables, des formations sur la transition énergétique qu’on a pu suivre avec Camille (directrice de production) l’an passé notamment. On avait déjà travaillé avec eux sur le dispositif « Drastic on Plastic » et ce nouveau projet nous a beaucoup parlé. Bordeaux Open Air a une typologie d’événements qui est assez singulière, c’est un festival sur quatre mois, sur des jours non consécutifs. Ces données là sont intéressantes à étudier car différentes. En termes d’éco-responsabilité on est déjà plutôt des bons élèves, mais l’idée d’aller encore plus loin nous motive !
Claire : Je ne connaissais pas le RIM mais je me renseigne beaucoup sur ces sujets-là et je suis allée à la biennale internationale du spectacle vivant à Nantes en janvier. Là-bas j’ai identifié ces réseaux qui tendent à pousser la culture à diminuer son impact environnemental sur la planète et je me suis rendue compte que je n’étais pas toute seule, que ces réseaux existent et s’organisent. J’ai entendu parler de la charte « Drastic on Plastic » portée par R2D2 et le RIM et j’ai tout de suite appelé Malika. Si cet appel à projet était déjà passé, elle m’a parlé de Festivals en mouvement et avec Arte Flamenco j’ai embarqué ! J’étais déjà très intéressée par ces problématiques qui me paraissaient trop complexes à traiter seule, et quand j’ai vu qu’on était plusieurs, qu’on voulait s’organiser, j’ai convaincu ma direction pour foncer. Au départ je voulais simplement des informations, et je suis heureuse d’avoir appelé au bon moment !
Comment s’articule le projet, la collaboration et quelles en sont les étapes concrètes ?
Malika : On a eu début mai une réunion avec R2D2 et on envisage de rassembler des festivals et des experts de la mobilité pour confronter les problématiques aux réponses d’experts. L’idée c’est d’aller soulever des problématiques plus complexes. Au-delà du brainstorm, l’intérêt d’un projet à l’échelle nationale est qu’on s’inscrit dans un réseau, tous ensemble, et on peut avancer à plusieurs. Le mantra du RIM c’est qu’on est convaincu qu’à plusieurs on est plus forts. On va avancer au fur et à mesure de l’enquête et les premiers résultats nous aideront à poursuivre. On va expérimenter, se tromper pour mieux avancer, tout ce qu’on veut c’est travailler en groupe et profiter de cet échange entre pairs qui est stimulant et super intéressant.
Julia : Le projet se fait en plusieurs étapes, sur trois ans. Il va y avoir deux études sociologiques des publics qui vont se baser sur un questionnaire qu’on fera passer auprès du public par nos bénévoles sur nos événements. Il y aura une trentaine de questions sur les mobilités, on verra le questionnaire final le 5 juin, on a super hâte. Au bout d’un an, donc la saison prochaine, il y aura un état des lieux, et les deux saisons suivantes seront les phases d’expérimentation en fonction des résultats. L’objectif c’est d’avoir en 2026 un bilan de capitalisation des réseaux. De notre côté on va former nos responsables bénévoles sur l’approche sociologique du questionnaire, leur donner les astuces pour qu’ensuite, en début de saison, ils puissent briefer les bénévoles.
Claire : C’est le cabinet sociologique Sociotopie qui crée ce questionnaire, on est impatient de le découvrir et de débuter la saison pour concrétiser le projet !
Quels sont les plus gros obstacles à la réduction de l’empreinte carbone causée par les mobilités des festivaliers ? Quelles alternatives pour commencer ?
Claire : Je vais parler pour Arte Flamenco : on est à Mont-de-Marsan, on n’est pas du tout sur un réseau ferroviaire facilitateur pour la mobilité des publics. Les transports en commun sont assez peu développés dans les Landes, on est mal desservis par le train et la majorité de notre public vient du coin, il a donc la coutume de se déplacer en voiture, c’est une véritable habitude. On a une marge de progression très importante, on peut penser au covoiturage pour les festivaliers, et puis dans un second temps on pensera bien entendu aux déplacements des artistes. Au vu de ces obstacles, on est vraiment contents d’être partie d’un projet collectif, de contribuer à une réflexion collective, ça va nous aider à trouver des solutions.
" Est-ce que ce n’est pas en agissant sur la jauge, en revenant à des événements plus sobres, qu’on pourra agir sur la question de la mobilité ? "
Malika : Peut-être que la jauge est un premier obstacle auquel on peut penser qui peut se résoudre. Si on a une jauge à 15 000 personnes, bosser sur la mobilité c’est presque utopique. Est-ce que ce n’est pas en agissant sur la jauge, en revenant à des événements plus sobres, qu’on pourra agir sur la question de la mobilité ? Ce sont des pistes sur lesquelles on réfléchit par exemple. La question des lieux pose problème évidemment : souvent les festivals impliquent des lieux construits ex-nihilo le temps d’un événement, forcément les infrastructures manquent. Mon collègue parle souvent de l’effet woodstock.
Julia : On est assez différent du modèle traditionnel comme je le disais plus tôt. Pour revenir à la base, notre format c’est un festival urbain (nldr : Bordeaux Open Air), de jour, qui s’étire sur plusieurs mois pour des événements ponctuels. On ne crée pas de « nouvelle ville » puisqu’on s’installe sur des lieux déjà équipés, en centre-ville, où les infrastructures sont solides. On a accès à l’eau potable de la ville de Bordeaux, à l’électricité, tous nos lieux sont accessibles en transports en commun ou en vélo (et même souvent assez inaccessibles en voiture en fait). Donc le choix du format a déjà un impact largement réduit. Là où ça peut poser problème c’est plutôt dans le transport des artistes, et donc on essaie de créer des situations pour réduire cet impact. Concrètement ça donne quoi ? On essaie par exemple de mettre en balance notre ligne artistique : découverte culturelle et invitation des artistes locaux et du monde.
Cette année on essaie alors de plutôt se concentrer sur la France et l’Europe. Depuis 2022 on invite un festival par date qui fait avec nous une co-programmation, il peut alors y avoir des artistes qui viennent de loin, du Japon ou d’Australie l’an passé par exemple. Alors quitte à faire ça, on essaie de rationaliser, de mutualiser les artistes aussi en quelque sorte en organisant des tournées avec d’autres structures françaises ou européennes. Tout cela passe par la communication, l’artistique, la production, on œuvre tous ensemble pour faire les choix les plus responsables.
" Même face à des actions facilement réalisables j’ai été surprise de voir qu’il y avait toujours de la réticence "
Quelles initiatives avez-vous déjà mis en place pour rendre les festivals plus éco-responsables et réduire leur impact environnemental ?
Claire : On a commencé par le plastique et notamment les bouteilles d’eau qu’on distribuait en grande quantité. En 2022 j’ai fait installer des fontaines à eau et on a incité à utiliser des gourdes. Les fontaines étaient reliées au réseau et pas à des bidons plastiques donc on a éliminé déjà pas mal de déchets. Même face à des actions facilement réalisables j’ai été surprise de voir qu’il y avait toujours de la réticence, ça a été un combat de tous les jours, une année costaud à essayer de faire changer les habitudes. On y est allés étape par étape et on a réduit de plus en plus. Cette année la nouveauté c’est que le bar du festival ne vendra plus du tout de bouteilles d’eau, l’eau sera gratuite au bar et on pourra remplir sa gourde ou son éco-cup. J’ai également travaillé sur le tri des déchets et fait en sorte que l’agglomération nous mette à disposition des points de tri avec des affiches. On a fait de la médiation, de la sensibilisation auprès des festivaliers, des artistes et des équipes techniques.
Un autre point qui me tenait vraiment à cœur c’était de réduire le gaspillage alimentaire qui était considérable. On travaille déjà beaucoup avec des producteurs locaux, mais ça ne fait pas tout. C’est délicat car on n’a pas le droit de donner des restes à des associations, donc il a fallu revoir les commandes, bien organiser les repas commandés pour qu’ils collent avec les repas consommés. J’ai vu avec ma prestataire et cette année on aura des boîtes repas pour pouvoir donner des potentiels restes à nos bénévoles ou à des gens sur place.
Il y a plein d’autres points qu’on a améliorés : on est en LED sur toute la partie technique, on travaille à la mutualisation pour la location du matériel auprès d’un fournisseur palois ou on l’emprunte au conseil départemental des Landes pour limiter nos achats. On a aussi fait diminuer les impressions d’affiches, livrets et programmes, on a troqué les toilettes chimiques pour des toilettes sèches. On essaie au maximum d’être sur tous les fronts, et ça passe aussi par le développement durable, par l’écocitoyenneté, alors on mène des actions de médiation culturelle et environnementale, on veille à l’accessibilité PMR, on recrute des personnes en situation de handicaps sur certaines missions. On n’est pas encore parfaits, mais on essaie de faire au mieux pour que la culture s’inscrive réellement dans une démarche de développement durable, car il est évident qu’on a un rôle à jouer.
Julia : On a des stations de tri prêtées par l’association Aremacs, on distribue des cendriers de poche, on a installé des toilettes sèches sur tous nos événements. On a depuis quelques années arrêté de personnaliser nos éco-cups. Ils sont un peu moins cools c’est vrai, mais on sait que pour qu’un éco-cup soit durable il faut qu’il soit réutilisé 20 fois minimum, donc c’est plus durable comme ça et ils sont mutualisables avec d’autres événements bordelais.
Depuis 2020, on n’a pas de plastique à usage unique sur le festival et le staff est zéro-déchet. Les déchets qu’on trie sont ceux des festivaliers, mais de notre côté, et notamment grâce à Drastic on Plastic, on a tout éliminé. Bien sûr on ne peut pas mentir, il arrive qu’il y ait des couacs, par exemple on avait eu une coupure d’eau, il faisait 30 degrés, bon on est partis acheter des bouteilles d’eau, mais notre volonté est de prévoir le zéro-déchet à 100% et l’année dernière on a été quasi-parfait. Ça passe également par beaucoup de médiation, par exemple on a des serflex qui sont réutilisables maintenant ! Mais au début les techniciens, qui ont l’habitude de les couper et qui peuvent être fatigués au moment du démontage bien sûr, avaient le réflexe de les couper. Mais on ne lâche rien, on continue de sensibiliser et les progrès qu’on fait sont top !
© Bordeaux Open Air
Feather remercie chaleureusement Malika, Zoé, Claire et Julia pour le temps qu’elles nous ont accordé pour parler d’un projet qui donne plein d’espoir. Ce qu’on retient c’est qu’en Nouvelle-Aquitaine, que ce soit par des démarches de labellisation, par des efforts concrets faits systématiquement et par l’organisation à travers des réseaux : les festivals s’engagent pour un impact environnemental de plus en plus amoindri. Les festivals représentent tout un tissu local où chaque acteur, bien guidé, encadré et entouré par des réseaux comme le RIM, peut entamer une transition écologique. On est aussi ravis de voir des femmes engagées porter ces projets, c’est très enrichissant d’entendre leurs convictions, leur motivation et leur vraie volonté de faire progresser nos habitudes. Elles ont l’ambition et le courage de faire changer les choses, et pour le mieux.
On est impatients de voir ce que ce projet pourra donner et on espère vous en reparler d’ici quelques années pour faire un point sur les solutions qui pourront être trouvées et mises en place.
Coline Tauzia | 28.05.2023
Comments