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Jaymie Silk: une nouvelle vision musicale, fraîche et spontanée

Dernière mise à jour : 2 mai 2021

Jaymie Silk, artiste franco-italano-africano-canadien, ayant grandi dans les années 90, s’habille de différentes casquettes et influences. Il a sorti ce vendredi 23 avril son dernier album Young, Broke and Fabulous. Nous l’avons rencontré et dessinons avec lui le fil rouge qui a su le mener jusqu’à cet album, teinté de rythmes électro détonants, au croisement d’esthétiques diverses.

Tu grandis en regardant des Michael Jackson et des Madonna mais toi tu ne peux faire que du rap parce qu'on va te dire de toute façon que c'est pas ta place

De rappeur, producteur, à DJ, tu t'accompagnes de nombreuses facettes dans le décor musical. Dans laquelle de ces peaux te sens-tu le plus à ta place ? Comment l'expliques-tu ?

Généralement quand t'es dans le rap et que tu te mets à faire des sons par besoin, tu apprends à être un peu couteau suisse. Il y a le fait d'être autodidacte, t'apprends à enregistrer de la musique avec un ordinateur, comment fonctionne la musique etc. Au final maintenant je ne me revendique pas DJ avant autre chose, je fais de la musique, je peux autant travailler sur des projets d'autres artistes que en tant que DA (directeur artistique ndlr), production musicale, je peux chanter et faire plein de choses. C'est de la musique au final, il n'y a vraiment pas de définition. Le fait de faire du rap, comme je dis souvent, surtout quand on a grandi 90 en France, c'est parce que la musique électronique appartient quand même à une certaine catégorie sociale et économique, comme les DJ dans le rap avant, il fallait pouvoir s'acheter du matos etc. C'est pour ça que la période de la French Touch est majoritairement Versaillaise. Si j'avais pu, j'aurais peut-être pas fait ça en fait. Tu grandis en regardant des Michael Jackson et des Madonna mais toi tu ne peux faire que du rap parce qu'on va te dire de toute façon que c'est pas ta place. C'est juste que maintenant, l'époque est différente avec internet, tu regardes un gamin de 18 ans, par exemple dans le rap, les gars font des trucs chantés, donc il y a plus de limites maintenant. Tu peux faire ce que tu veux on va dire.


Pourrais-tu citer les artistes qui t'ont poussé à faire cette transition du hip-hop à l'électro ? Penses-tu que le rappeur est toujours en toi et t'aide dans tes créations électro ?

Encore une fois le rap c'est juste une excuse pour faire de la musique. Moi j'ai pas grandi avec ça, mon père n'écoutait pas de rap, ma mère n'écoutait pas de rap, c'est juste que ce sont des références sociales qu'on te donne et tu n'as pas le choix pour faire de la musique. C'est facile de faire de la musique, juste de rapper, mais si j'avais pu avoir un studio, qu'on me montre comment on fait de la musique, je pense que j'aurais fait autre chose. Et puis là je pense que la transition s'est faite parce qu'en étant au Canada, il y avait un DJ qui faisait beaucoup de remix de Jersey Clubs, moi je ne connaissais pas et je commençais à me dire « c'est quoi ce truc de fou ? », je commençais à être introduit à la scène ballroom. Je me rends compte qu'il y avait une légitimité à faire de la musique électronique, ce n’était pas un truc qu'on voyait en Europe. Ce n’était pas des blancs drogués et « boom boom boom », c'était un truc super musical, à base de samples, que ça soit à Detroit ou Chicago je commençais à ressentir cette certaine légitimité, à me dire que le milieu du rap était un milieu très adulescent, très normé. Tu vois il y a beaucoup de beatmakers tu leur proposes de faire un truc avec Katy Perry, ils seraient chauds.

Tu ne t’es donc pas du tout identifié dans le rap, mais plutôt dans la musique en général ?

C'est que le rap c'est une référence sociale, c'est les seules images que t'as. Il faut se remettre dans le contexte des années fin 90 et début 2000, les seules personnes que tu vois vont être des Oxmo Puccino et des trucs comme ça. Mais nous on peut faire ça aussi, c'est les seuls trucs qu'on nous montre. Quand tu grandis en France, la variété française c'est toujours un peu les mêmes personnes qu'on met en avant, donc quand tu recherches un moyen de t'exprimer musicalement c'est beaucoup plus simple, ça ne demande pas de matériel. C'est très différent de maintenant on va dire. Maintenant tu peux avoir un téléphone portable, télécharger des logiciels de son et tu fais ce que tu veux.


Les balls ont eu une grande importance pour ton évolution musicale, parle nous de cette influence et de ce que représentent les ballrooms pour ta musique ?

Alors Ballroom, c'est une culture à part entière, c'est un peu mal compris en France : la culture ballroom est réduite à l'image du voguing, mais le voguing ne reste qu'une infime partie de cette culture. En étant au Canada j'ai pu voir que l'histoire de la musique électronique était quand même un courant créé par des personnes noires, latinos, ou par la communauté LGBT et voir qu'il y avait un « safe space », un moyen d'expression, un moyen alternatif de création. Les gens de la communauté ballroom sont très créatifs et voir que tu peux créer, que des gens sont là pour te soutenir.

La communauté Ballroom de Montréal et Toronto c'est un peu comme une famille alternative.

Comme je dis toujours, c'est comme essayer de décrire le goût de la papaye à quelqu'un qui n'en a jamais mangé, ce n'est pas possible. C'est pour ça qu'il faut y aller un jour, de voir un peu l'énergie qui s'en dégage, ça peut être super enrichissant grâce aux personnes qu'on y rencontre et il y a un côté aussi de persévérance sociale. Il y a une oppression extérieure donc quand tu es dans cet univers là et que tu as le privilège de pouvoir être accepté dans la communauté, ça apporte beaucoup. Être dans un milieu avec beaucoup de danseurs, beaucoup de gens qui font leur propre outfit, c'est une créativité différente et l'énergie l’est aussi totalement.

Je trouve très prétentieux le fait de dire « ouais je fais de la création », le fait de créer est pour moi hyper égoïste, tu ne crées pas pour les autres.

Ayant grandi dans un milieu aux croisements de différentes cultures très riches, ces influences dans ta musique se font grandement ressentir et surtout à travers ton engagement. Tu ressens plus ta musique comme défouloir ou comme médium pour faire de la politique ?

Je suis partisan du fait que n'importe quelle forme d'art ne peut pas être apolitique, car même être apolitique c'est une prise de partie politique, et même l'implication au niveau de l'avis politique quant à une forme d'art que tu exposes est censée refléter un peu l'époque dans laquelle tu vis. Mais tu as la partie business qui vient après. Mais surtout en appartenant à une communauté marginalisée, que ce soit les personnes de couleurs, les femmes, les personnes handicapées, tu as quelque chose à apporter qui est différent. Le fait de faire de la musique ou de l'art, je pense plus que c'est un autre sujet, que c'est plus un trouble de créer. Si tu étudies la psychologie des créatifs, moi je vois ça comme un trouble. Quand tu parles de défouloir, c'est un peu ça, c'est une manière de gérer l'anxiété, ce n'est pas sain. Tu peux faire de l'art chez toi, de la peinture le dimanche, quand tu rentres chez toi, mais le faire comme je le fais moi par exemple ça demande beaucoup de privations. C'est peut être une sorte de refuge, une façon de gérer le monde extérieur.

Je trouve très prétentieux le fait de dire « ouais je fais de la création », le fait de créer est pour moi hyper égoïste, tu ne crées pas pour les autres. Après, il y a l'étape ou tu dois l'exposer aux yeux des gens, c'est une autre violence que tu dois te faire et une fois que tu l'exposes de toute façon tu as fait un choix et ça ne t'appartient plus. Mais c'est de se rendre compte qu'il y a des gens qui partagent et qui ressentent quelque chose avec ton travail, ça c'est incroyable. Et moi avec la communauté ballroom par exemple, le fait de faire du son, des édits, (je faisais beaucoup d'édits c'est comme ça que j'ai été remarqué en 2016) tu joues, les gens sont heureux, ils kiffent le son, c'est un partage direct. C'est aussi pour ça que je trouve qu'il y a toute une utopie autour de l'artiste, mais en vrai je pense qu'il y a rien de plus égoïste que de créer.


En parlant d'engagement, Jack Johnson t'as beaucoup inspiré, notamment pour ton album sorti le 21 février 2021 « The legend of Jack Johnson ». Que représente il pour toi ?

Alors, comme je suis quelqu'un de hyper productif, avec les confinements je me suis dit que j'allais pouvoir sortir des trucs à gogo, je crois que l'année dernière j'ai dû sortir 6 projets quelque chose comme ça. Et là,j'avais été contacté par Shall not Fade qui release en vinyle, et il y a la symbolique de prêter un vinyle pour moi qui ai grandi avec les vinyles de la Motown de mon père, des trucs soul. Alors quand on me l'a prêté je connaissais déjà l'histoire de Jack Johnson, et je me suis dit que ça serait symbolique de pouvoir mêler quelque chose ; un support vinyle, avec ses influences de l'époque, donc du début du 20ème siècle. La musique est une excuse en soi, là j'avais la chance d'avoir un support, je savais que ce support allait être relayé, le projet était pas mal attendu, alors je préférais faire ça. Je comprends pas le fait de faire quelque chose juste pour faire, je dis que c'est égoïste mais si tu sais que tu vas être écouté, c'est en ça qu'on ne peut pas dire que l'art est apolitique, sinon tu le gardes chez toi. Si ce que je faisais était juste pour moi je ne l'aborderais pas de la même façon, parce que tu es forcément obligé de comprendre l'impact et la responsabilité. C'est comme se prétendre artiste et activiste, moi je ne me prétends pas engagé. Tu es engagé par ta conviction, encore une fois pour les communautés marginalisées tes combats ne sont pas les mêmes que les autres.

Pour ce qui est des influences, je fonctionne un peu comme une éponge. Je prends tous les trucs que j'entends, il n'y a pas forcément de bons artistes pour moi, il y a des bons morceaux.

Ta musique se dessine dans un décor de styles très différents. Certaines musiques ne s'accompagnent pas du tout de paroles et d'autres s'habillent de discours et de paroles chantées. Comment situerais tu l'importance des paroles dans ta musique ? Essayes-tu de retranscrire ce que tu veux dire le plus par l'instrumentale ?

Je pense que c'est un tout, parce que je n'ai pas grandi avec de la musique instrumentale. Quand j'étais petit je voyais ça de façon très linéaire, pour moi il y avait ceux qui avaient grandi avec la black music, et on voyait bien que le rock était issu de musique noire. Toutes les pop stars qu'on avait à l'époque comme Bill Withers, Nana Mouskouri, ou Céline Dion, il y avait toujours des paroles, c'est une chanson, donc le but n'est pas de faire une track, un son de club. Le fait d'avoir des paroles ou une voix attire l'oreille différemment, parfois c'est nécessaire sur certains morceaux. Par exemple, si tu prends le projet Jack Johnson, il y a aussi le besoin de mettre des audios d'archives, donc on entend Jack Johnson, Mohamed Ali, des commentaires radios etc. Sinon sur l'album qui est sorti aujourd'hui, il y a des paroles ou je chante dessus, et ce n'est pas du tout la même chose. Pour moi le but c'est vraiment de faire des chansons, j'ai grandi avec, et il y avait toujours des paroles, c'est un réel besoin pour moi.


Pourrais-tu nous citer certains artistes ou personnes chez lesquelles tu puises ton inspiration ?

Pour ce qui est des influences, je fonctionne un peu comme une éponge. Je prends tous les trucs que j'entends, il n'y a pas forcément de bons artistes pour moi, il y a des bons morceaux. Après, ayant grandi en France, ça peut être du Gainsbourg autant que la musique de la Motown, plein de choses en fait.


Ton dernier album Young, Broke and Fabulous est sorti juste aujourd'hui, un dernier petit mot pour teaser nos lecteurs ?

Young, Broke and Fabulous, c'est un autoportrait et un portrait d'une génération, surtout en temps de covid. C'est un album qui a été fait en 2018 et là c'était la bonne occasion pour le sortir et de se rendre compte qu'on à beau être Young and Broke, on est Fabulous en même temps.

Merci à Jaymie Silk pour cet entretien! L’album Young, Broke and Fabulous est disponible sur toutes les plateformes, et nous vous invitons à jeter un œil à ses anciens projets, promesse d’un voyage entre électro et gabber, sans oublier de passer par les sentiers de ses nombreuses influences.



 

Lison Thibaud | 26.04.2021



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