La nuit est déjà tombée lorsque nous arrivons aux Vivres de l’Art. À l’entrée du parc, le bar-bunker accueille les fumeurs, comme un vestige de l’été et de ses open airs, tandis que l’on commence à s’entasser dans la galerie. L’Astroshow jouit désormais d’un public fidèle comme en témoigne l’affluence en cette avant-veille de Samhain, et c’est devant une salle pleine que les portugais de 10 000 Rusos font sonner les premières notes de leur set. On profite à nouveau, le temps de quelques morceaux, de l’envoûtement d’un concert entre quatre murs, avant de rejoindre La Jungle pour en apprendre plus sur ce projet, dont le nom finit toujours par tomber lorsqu’il s’agit d’énumérer les groupes qui font la différence depuis quelques années.
Il faut dire que la formule est loin d’être éculée, le duo, guitare-batterie, assène un rock parfaitement équilibré, entre frénésie kraut/noise et transe électronique. Pari risqué que de convoquer des influences Lighting Bolt ou Action Beat dans une scène rock toujours plus aseptisée, et pourtant la sauce prend, comme nous l’expliquent les principaux intéressés : « On arrive toujours à se rattraper sur des morceaux qui sont plus dansants et les gens font abstraction de la partie plus noise qui ne les touche pas trop ou qui les agressse pour tomber sur ce kick plus transe. C’est notre côté universel ».
Pas snob, c’est cette universalité, mais aussi une volonté de jouer quoi qu’il en coûte qui permet au groupe de jongler entre différents milieux : « Les grosses salles ça vient comme ça vient, on est ouvert à tout, on ne calcule pas trop. Il y a des groupes qui, quand ils vont se développer, vont mettre des restrictions pour rentrer dans des cases, correspondre à des clichés, pour nous c’est un peu de la merde, tu te fermes des portes, tu fais moins de dates (…) Les grosses salles arrivent, les gros festivals, mais aussi les petits fest’ très familiaux, les squats ou encore les annivs, mariages, petits cafés-concerts, on s’en fout ! ».
Des squats aux festivals il y a un monde et cette universalité à parfois ses limites, comme l’illustre cette mésaventure : « En 2016, on a joué dans un festival électro, et le programmateur nous l’a dit clairement : moi, je veux faire un petit attentat avec vous. Ça n’a pas du tout marché, mais il était super content et nous aussi ».
Nous parlions de formule à propos de la musique de La Jungle, car elle a quelque chose de magique. Quasi-alchimique, elle offre plus qu’un simple mélange de ce qui tourne sur les platines du duo. Chez d’autres groupes, la formule s’atténue malheureusement en recette. C’est le cas de la prestation de 10 000 Rusos.
La légende veut que James Brown, ou un autre monstre sacré selon l’envie du narrateur, eut pour habitude lorsqu’il auditionnait un backing band, de lancer un métronome, puis de partir boire un verre en emportant ledit métronome, afin de s’assurer à son retour que le groupe tenait toujours le tempo.
Nous retrouvons les Portugais exactement comme nous les avions laissés au moment d’aller conduire notre interview, lancés dans une démonstration néo-psyché frôlant le par cœur d’une poésie récitée au tableau, le label Fuzz Club tenant la craie du maître d’école. Réceptif et enthousiaste, si le public n’est pas encore las de ces groupes-clones délivrant des morceaux interchangeables d’un album, voire d’une formation à l’autre, l’ambiance monte tout de même de plusieurs crans dès le premier morceau du set de La Jungle. On comprend aisément que la répétitivité des sonorités de la scène néo-psyché induise une certaine transe à laquelle il est, tant physiquement que psychologiquement, agréable de succomber. La Jungle n’est pas exempt de ce phénomène, tout en ne laissant jamais de véritable répit à son auditoire. Un break surgit, aussitôt qu’un mouvement menace de se figer en boucle, et les phases de transe transcendent justement la violence et le chaos qu’elles contrebalancent.
Si trop de transe nuit à la vitalité musicale, son contraire, une noise excessive, ne serait pas forcément plus salutaire, et échouerait à coup sûr à maintenir captif un public qui ne cherche pas à se faire malmener pendant quarante minutes. On pense à l’écueil bruitiste ô combien courant dans le milieu noise qui, par zèle adornien très certainement, n’est pas sans faire penser au snobisme conceptuel bourgeois des galeries d’art contemporaines, dont il est le reflet populaire dans le miroir déformant de l’ombre projetée. La musique de La Jungle est donc une musique équilibrée comme un couteau de lancer, dont l’efficacité et l’accessibilité ne sacrifie en rien l’urgence et l’honnêteté.
Que faire alors pour qu’une telle formule ne dégringole pas du grimoire au manuel de cuisine? La Jungle ne compte apparemment pas se reposer sur ses lauriers. Nous abordons avec eux la place du chant, quasi absent de leur discographie, et le potentiel mutisme que cela pourrait engendrer : « Sur le dernier album, Fall Off The Apex, il y a déjà du chant, et le nom de l’album veut dire quelque chose, il est assez explicite. Sur les nouvelles compos que l’on a faites et qui sortiront plus tard, il y a beaucoup plus de chant. Ce n’est pas calculé, il arrive comme un instrument, comme une mélodie en plus ».
En ce qui concerne le propos, qu’il soit textuel ou visuel : « Ça sera toujours très métaphorique. Celui avec les chevaliers, c’était l’époque des gilets jaunes, cela prolongeait le côté médiéval, sur le fait qu’il y a encore des supers riches, des supers pauvres, des serfs, et quand on l’a composé, on était en plein dans cette actualité ».
Une autre source de vitalité qui participe au renouveau constant du groupe, c’est son besoin de collaborer avec des artistes extérieurs. C’est notamment le cas en ce qui concerne leurs nombreux clips : « On ne fait pas tout nous-même, il y a beaucoup de cartes blanches, on travaille beaucoup avec des personnes de confiance, des amis qui ont envie de travailler avec La Jungle. On ne lit pas les scénarios avant, et même si toi, tu aurais fait les choses différemment, tu laisses le truc vivre, c’est quelqu’un qui l’a fait pour toi, c’est un cadeau ! ».
Autre objet collaboratif de qualité, un album de remix qui a vu le jour l’été dernier : « C’était que des gens qu’on connaissait, et puis on a étendu à des gens qu’on aime bien (…) c’était bien de confondre les deux mondes, ça fait longtemps que des proches du groupe nous demandent pourquoi vous faites pas de remix, et à force de te le répéter tu te dis ok on va le faire ». Ainsi, le groupe s’amuse à se voir notifié en story Instagram lorsque passe en club l’un des remixes de l’album.
On remercie donc l’Astroshow pour ce moment d’exception. Les absents, rassurez vous, La Jungle sera de retour à Bordeaux le 04 février au Krakatoa. En ce qui concerne l’Astrodome et ses Astroshows, ils travaillent actuellement à la nouvelle édition de leur Sidéral Fest qui se déroulera les 5, 6 et 7 mai à la Salle du Grand Parc, en collaboration avec Musique d'Apéritif .
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