Une escapade féérique de l’esprit guidée par des notes poétiques et envoûtantes, c’est ce qu’apprécie le public bordelais venu assister au Concert sur le zinc ce mardi soir. Dans l’intimité du café culturel le Pourquoi pas, le quintet à anches Eko interprète avec légèreté les notes aériennes de la musique de chambre. Convier la musique classique dans les bars, c’est le défi que s’est lancé l’association bordelaise Les caprices de Marianne.
Marianne, la fondatrice de l’association, n’a qu’un but : décontextualiser la musique classique pour la sortir de ses salles dédiées au caractère solennel. Pour cause, le besoin de rendre la musique classique accessible à tous.tes et d’instaurer une proximité entre les artistes et le public. Pendant une heure trente, un moment de partage prend place. Pour ce format de concert présenté, le médiateur culturel Olivier Delaunay anime les transitions entre les différents morceaux.
Sous un ton humoristique, détendu et pédagogique, il permet aux petit×e×s et aux grand×e×s de mieux comprendre l’histoire de la musique qu’iels entendront. Dans ce format ludique, tout le monde y trouve son compte. L’occasion de profiter d’un instant intergénérationnel au cœur d’un concert au tarif très abordable : 5 euros.
« Passons au burlesque. Burlesk avec un K. Un Kdo ! Même si l’on y trouve aussi des si, des ré » Olivier Delaunay.
A la fin de ce Concert sur le Zinc, un échange permet aux artistes de se mêler à leurs auditeurs.trices. Dans le brouhaha chaleureux du Pourquoi pas, nous rejoignons Marianne pour lui poser quelques questions.
Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Marianne Muglioni. Je suis violoncelliste professionnelle avec un parcours de musicienne classique traditionnel. Après être rentrée dans un orchestre, j’ai compris que je souhaitais devenir indépendante. Mais ce qui me gênait dans la vie de musicienne d’orchestre, c’était l’absence totale d’échange avec le public. Quand on est sur scène, il y a une distance. L’entrée des artistes, l’entrée du public… Or j’ai rencontré dans mon parcours des néophytes subjugués par ma musique, ce qui m’a, en 2015, amené à créer cette structure associative. Mon but était de rendre la musique accessible au plus grand nombre par le biais de la musique de chambre, en la rendant beaucoup moins intimidante.
Quels sont les grands évènements de l’association ?
Une fois par mois, on se retrouve dans le bistrot d’un centre social pour les Concerts sur le zinc. Ce sont des concerts organisés avec des musiciens professionnels. Depuis septembre on a migré dans un café culturel dans Bordeaux Sud. On sort la musique classique de ses auditoriums. Le public aura peut-être moins la trouille de pousser la porte. On est programmé au milieu de théâtre d’improvisation, de soirées jeux, de concerts d’autres sortes. Donc il y a cette idée que la musique classique ne doit pas être quelque chose d’hors norme, pour qu’elle fasse moins peur.
Notre valeur, c'est de rendre accessible ce qui est beau au plus grand monde, ne pas se le garder pour soi.
Qui fréquente ces concerts ?
Avant on était sur des formats du midi, donc on avait des personnes âgées et des travailleurs du quartier. Maintenant on est sur un format 19h apéro, donc on a changé de public. On a gagné plus de familles. C’est plus mixte en termes de générations. On a aussi un partenariat avec Culture du cœur pour en faire profiter aux personnes sans ressources. Et on a un partenariat étroit avec SOS solidarité qui accueille des personnes sans domicile fixe auxquelles on offre un accès à la culture. On trouve aussi une mixité sociale : des mélomanes, des populations défavorisées.
« Face à la musique il n’y a plus d’étiquettes, ce petit monde se mélange très bien, c’est très émouvant. »
Vous avez d’autres activités pour sortir la musique de l’ordinaire, quelles-sont-elles ?
L’essentiel de nos activités se fait dans les quartiers prioritaires, dans les résidences hlm, essentiellement au grand parc. On vient jouer au pied des tours pour répondre à des projets de territoires. Nous sommes en lien avec les acteurs socioculturels de chaque territoire qui nous aident à créer une proposition sur mesure. Et on construit une présence sur l’année pour sensibiliser les personnes et les inviter à rejoindre les Concerts sur le zinc.
Un exemple d’un atelier dans ces quartiers prioritaires ?
A Pessac, on a fait des ateliers pour les femmes dans les quartiers prioritaires, assez oubliées et isolées. Dans une médiathèque, on a organisé un travail d’écriture mené par Olivier autour de poèmes qu’on a par la suite présenté en concert. Ça a été un moment très émouvant. On a su créer une mixité car à travers leurs poèmes et la musique, ces femmes ont su sortir des choses extrêmement fortes. Ça a apporté une dimension incroyable à notre musique. C’était des femmes qui ne se connaissaient pas au départ. Puis elles sont venues et aujourd’hui elles continuent d’assister aux concerts régulièrement.
Quels ont été les témoignages touchants de personnes que vous avez pu sensibiliser ?
Des enfants qui sont venus me dire à la fin d’un concert qu’ils avaient découvert la musique grâce à toi, et que maintenant ils apprenaient le piano. A Mérignac aussi on a travaillé avec la MJC. Des adolescents qui ont pu être réticents ont fini par s’ouvrir et à devenir volontaires et satisfaits.
Ce dont j’étais convaincue dès le départ, c’est que lorsqu’on met un public, aussi peu informé, face aux vibrations d’un instrument joué par un artiste, il n’y a plus de résistance, c’est physique. C’est impossible de rester insensible.
C’est aussi beau pour le public que pour nous, les artistes. Sur la scène d’une musique classique, on ne perçoit pas les impressions du public sauf avec les applaudissements à la fin. Là c’est très nourrissant. C’est différent. On a cette proximité qui nous permet de ressentir la perception du public.
Quelles sont vos valeurs ?
La culture pour tous. Rendre accessible ce qui est beau au plus grand monde, ne pas se le garder pour soi.
Une expérience qui vous a particulièrement marqué ?
On a organisé un concert dans une piscine, au Grand Parc, avec les nageurs dans le bassin. On a surpris les habitants dans leur quotidien. Bien sûr c’était un concert de cuivres car la piscine est un lieu très humide. Ça c’est la grosse difficulté. Si la musique classique reste dans ces salles dédiées c’est à cause de ces contraintes. On a des instruments précieux : pas de soleil, pas de pluie… Mais quand on a envie on y arrive. La piscine, c’était un moment un peu fou, et particulier.
Quels projets à venir ?
On s’étend en nous implantant dans de nouveaux territoires. Par ailleurs, on crée une exposition « Ecoutez voir » en partenariat avec une illustratrice pour enfants Martine Perrin. C’est une entrée dans l’univers de la musique classique, à travers une expérience sensorielle et diversifiée. Ça nous permet de nous projeter au national car on la loue à des lieux diverses. On a aussi développé une gamme de jeux de société autour de la musique classique.
On sent aussi une reconnaissance de notre savoir-faire. On veut surtout développer le concert sur le zinc et instaurer un public fidèle. On a des perspectives à l’opéra de Bordeaux aussi. Puis des formats de concert mêlant folk et classique. Je veux faire chanter du Schubert à une chanteuse pour créer un mix de genres musicaux qui répond à notre objectif de s’ouvrir à de nouveaux publics. C’est prévu pour septembre.
Anaïs Lavielle | 22.05.22
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