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Yudimah : rencontre avec le talent et la sagesse

Dernière mise à jour : 24 avr. 2019

Commençant à se faire connaître notamment en faisant la première partie de Kalash à Bordeaux et de MHD à Biarritz en 2016 ; Yudimah est depuis devenu l’un des principaux artistes émergents sur la scène Bordelaise. la Pépinière du Krakatoa, et en passant par la scène de la Rock School Barbey, de la MAC du Crous, du Void ; il a sorti son premier album Energy il y a plusieurs mois maintenant avant d'intégrer le label Banzai Lab,.


© Julie Vertut

Auteur, compositeur, interprète, ingénieur son, beat-makeur... On sent dans ses textes, autant que dans sa manière de s’approprier la scène ; une persévérance à toute épreuve mêlée à une sincérité et une grande conscience du monde qui l’entoure.

Sous la lumière tamisée des loges du Krakatoa, rencontre avec Matthieu...


Salut Matthieu, comment tu te sens avant un concert ? Tu as quelques habitudes ?

Salut ! Hmm non pas trop, à part me chauffer un peu la voix. Ah si, juste avant de rentrer sur scène, je fais une prière.


Pourquoi avoir changé de nom ? De Leizy BK à Yudimah ?

Parce que Leizy BK c’était un truc que j’avais trouvé vite fait comme ça, un blaze auquel j’étais pas attaché, je voulais pas, j’assumais plus en fait.

J’aime pas les choses qui n’ont pas trop de sens et donc Yudimah pour moi ça a du sens puisque c’est un anagramme de mon nom et mon prénom. Donc c’est moi sans être moi, en plus ça glisse et ça reste très simple. Au final. Leizy c’était un truc de gamin genre « ouais j’suis lazy ». Donc je me suis dit « ok faut mieux le changer maintenant plutôt qu’après », parce qu’après quand tu veux changer de blaze c’est plus dur.


Ton album Energy est sorti l’année dernière. C’est un album très riche dans lequel tu inclus beaucoup de références, notamment sur des combats que tu mènes ou des causes qui te touchent. Tu parles par exemple de Dave Chappelle qui est un humoriste qui a souvent banalisé le racisme, tout en le dénonçant.

Que penses-tu des catégorisations et des tabous en France ? Et pourquoi est-ce important d’en parler dans ta musique ?

Moi je crois au fait que pour résoudre un problème, il faut déjà en parler. J’ai l’impression qu’en France on cache un peu la saleté derrière le vivre ensemble, tous ensemble, « black blanc beur », etc. C’est une façon d’éviter d’assumer et finalement j’ai l’impression que c’est faux quelle que soit la communauté en fait, c’est juste une illusion. Mais selon moi ouais c’est important de parler de certaines choses qui sont taboues pour le bien de tous, le bien commun. Pour se sentir bien et se sentir chez nous en France.


Tu dis souvent être quelqu’un de très philanthrope qui fait de la musique surtout pour sa dimension humaine. Tu as écrit notamment : « Je fais plus ça pour toi que pour moi » (dans la chanson Promesse), mais tu parles aussi, dans The Team, de l’importance d’un groupe pour réussir. Comment fais-tu le lien entre ton individualité en tant qu’être à part entière et ta place dans une communauté ?

On peut donner aux autres que ce qu’on a. Si on ne s’occupe pas d’acquérir soi-même, on ne donnera pas grand chose aux autres. Voilà, c’est la meilleure réponse.



Tu as créé l’association Butterfly King (à laquelle tu fais référence dans la chanson J.N.E.P de ton album) pour soutenir les enfants défavorisés au Congo. Est-ce que tu peux nous en parler ?

Je tiens à préciser que l’association est fermée. Je me suis retrouvé tout seul à la fin et c’était plus simple de la fermer après avoir fait la première action.


En gros, j’ai fait un album et je l’ai vendu. J’ai donné tous les fonds que j’ai récolté, 500 euros, à l’association SOS Enfants, c’était l’objectif principal de l’asso. Ils avaient besoin de 13 000 euros pour financer un dispensaire, un lieu d’accueil pour les anciens enfants soldats au Congo. Ensuite j’ai aussi fait quelques interventions dans des colloques, à la Fabrik, au Parlement des Entrepreneurs d’avenir, à la Ruche, où je parlais du coltan au Congo. Du coup, la structure a été construite et je me suis dit « OK maintenant je ferme l’association, je vais me reconstruire moi ». (Tout à l’heure on parlait de moi et des autres..). J’ai décidé de prendre plus le temps pour plus tard, réitérer l’action.


Pourquoi c’est important pour toi l’accès a la culture pour tous ?

Selon moi, si tu goûtes un plat et que t’es là en mode « ouah c’est trop bon », et que c’est un plat assez sophistiqué, auquel tout le monde n’a pas accès, tu vois des gens autour de toi qui ne connaissent même pas les ingrédients qu’il y a dans ce plat. Tu as deux types de réactions : tu en voudras plus pour toi, tu vas te cacher dans ta maison pour continuer à bien manger ou alors tu vas avoir la réaction « Oh v’nez voir ce truc c’est trop bon ! », « Viens je vais t’apprendre comment faire ! » ; et éventuellement ça peut déboucher sur des choses ; ou pas, mais au moins c’est une question de choix.


Avec ton association Butterfly King, le BPJEPS que tu as entrepris en 2017, et tes actions pour l’accès à la culture pour tous ; la question du développement socio-culturel et l’éducation des plus jeunes semble être centrale pour toi. Peux-tu nous en parler un petit peu ? Est-ce que certaines structures et association t’ont aidé toi aussi à devenir ce que tu es aujourd’hui ?

La Fabrik à Declik, en 2016, ça a été un tremplin émotionnel et méthodologique pour moi. Je suis arrivé là-bas avec l’envie de faire mais en sachant pertinemment que j’avais pas encore les outils, les ressources. Il me manquait la formation et aussi une bouffée d’air frais au niveau de la motivation, de me dire que oui moi aussi je peux faire quelque chose, mon idée c’est pas de la merde… Parce que c’est ce qu’on a tendance à se dire quand on a des idées. On a tendance à se décourager et la Fabrik sur ça a été géniale, j’en suis très très reconnaissant. C’est d’ailleurs pour ça qu’aujourd’hui je suis toujours en lien avec eux. Un gros big up à eux.

Apres j’ai fait un service civique aussi à la Rock School Barbey, à Musique et Quartier. Et ces deux expériences m’ont ensuite orienté vers le Bpjeps.

C’est le mix des deux qui m’a fait prendre conscience que je pouvais faire quelque chose là-dedans.


© Robin RAUNER

Qu’est-ce que tu penses de notre jeunesse, notre génération par rapport au monde ?

On a plus d’informations qu’avant, plus que nos anciens ; donc on peut leur apprendre beaucoup de choses par exemple, surtout ceux qui n’ont pas internet ou ne s’y intéressent pas. Et des fois faut faire attention de ne pas prendre la grosse tête parce que l’intelligence c’est pas qu’avoir les infos. Certaines valeurs se perdent au fil du temps et j’ai l’impression que les jeunes, je parle de moi aussi, on est plus arrogants que nos parents par exemple.

A cause des réseaux sociaux ou internet, on veut réussir vite car tout peut arriver vite mais y’a une culture de la patience, qui te donne une certaine sagesse, qui a un peu disparu. Et si on fait pas attention on peut tomber dedans. Donc on peut prendre la grosse tête mais des fois c’est même pas prendre la grosse tête et être hyper confiant, c’est l’inverse : avoir l’anxiété à un million de pourcent parce que t’as eu 150 j’aimes au lieu de 300 la dernière fois. Donc c’est hyper chelou en fait, j’ai l’impression qu’on est dans des extrêmes tandis qu’avant y’avait plus une relation de proximité, le local était privilégié puisque tout n’était pas autant connecté.

C’était plus chaleureux, plus convivial surement. On se focalisait sur les gens qui étaient autour de nous, pas sur qu’est ce qu’on dit sur moi dans les commentaires. Je pense que tout ça rajoute un certain stress et je dirais à notre jeunesse qu’il faut faire attention. Parce-qu’on peut croire qu’on est bien et tout, on peut le penser, mais à mon avis mentalement on est un peu plus instables. Après je veux pas blâmer les réseaux sociaux et internet, mais y’a une manière de les utiliser : on parle d’éducation aux médias. Mais je pense que c’est une chose qui n’est pas trop faite au final. Comment apprendre aux jeunes à se servir d’internet, comment s’en protéger, quelles en sont les conséquences,... Après c’est très difficile parce qu’il y a des choses, comme le rapport à l’égo, le nombre de j’aimes, même moi je peux en témoigner. Ça m’est arrivé de publier une chanson et quand tu vois qu’il y a personne qui like, bah le truc tu vas l’enlever en fait.


Dans la chanson L’apprenti-sage tu dis « La sincérité ne vient pas des livres elle vient du coeur » pour, j’imagine, dénoncer la stigmatisation des personnes n’ayant pas eu accès à une éducation scolaire. Cependant tu as commencé par écrire de la poésie, y a-t-il un poète qui t’as marqué et influencé dans ton écriture ?

Pour moi « poète » c’est tellement large. Y’a du point de vue académique, la poésie qui est règlementée : on parle de vers, d’alexandrin, etc. Et y’a la poésie au sens large, qui ne se lie pas que aux mots. Par exemple, tu peux voir de la poésie dans une fleur. Comme dit Jay-Z dans une interview "le rap c’est de la poésie". Y’a différents prismes.



Si c’est d’un point de vue académique, y’a pas de poètes qui m’ont inspiré, mais si on se place de l’autre point de vue, alors là c’est plein de rappeurs qui m’ont inspiré. Et après tu parlais de l’apprentissage : ce que j’ai voulu dire par là, c’est que des fois, on a peut-être tendance a trop récompenser l’intellect. Mettre en lumière le fait qu’il y a l’intelligence intellectuelle ok, la matière grise, mais il y a aussi l’intelligence émotionnelle. Et pour moi, chercher à faire un équilibre entre les deux c’est la meilleure des choses qu’on puisse faire.


Selon toi, qu’est-ce qui a changé dans la place du rap français en société entre les années 90's et aujourd’hui ?

Déjà aujourd’hui par rapport au rap français c’est difficile de me placer car j’ai quand même les yeux rivés beaucoup sur les States, mais si tu veux j’ai l’impression que ça suit un peu la même tendance.

Aujourd’hui le rap français c’est plus populaire qu’avant. Avant c’était underground, la rébellion, etc.

Maintenant le rap est devenu la nouvelle pop, on parle de « pop urbaine ». Je pense que ça a pris une plus grosse part du marché en France et c’est donc peut être plus écouté aussi qu’avant. Ça a une dimension plus commerciale.


Que penses-tu du contraste entre ta vision très fédératrice du rap et un style de musique qui est parfois l’objet de batailles d’égo ou de conflits ? (sans tomber dans le cliché)

Il y a le rap, c’est un genre, mais à l’intérieur il y a plein de type de personnes qui sont là pour plein de raisons différentes. Du coup il y a des rappeurs de différents styles et qui ont différentes personnalités. C’est pas un mal c’est juste que tout le monde n’est pas ici pour la même chose. L’important c’est de savoir pourquoi t’es là et que tu sois en paix avec ça en fait. A partir de là, l’égo disparaît presque avec les autres puisque toi tu sais où tu vas, quel public tu vises.

Le rap est devenu plus populaire, en terme de musique c’est une des plus facile à faire. Pour l’électro il faut que tu fasses des instrus, que tu les mixes et tout ; si tu veux faire du rock ou de la pop, il faut que tu saches chanter, jouer d’un instrument et ça demande un certain niveau d’investissement… Mais je suis pas en train de dénigrer le rap, c’est juste une réalité. Le rap c’est le genre de musique qui demande le moins d’investissement au début, parce qu’après y’a des rappeurs qui s’investissent plus que je le dis, ça n’a rien à voir. Mais le rap t’as juste besoin d’une instru, t’écris un texte et en soit tu fais ça 5 fois et t’as un EP.

Et donc du coup cette accessibilité, facilité, ça peut faire gonfler l’ego et après on va entendre « ouais c’trop facile j’les pète tous ». Tout dépend de la personne après.


Tu as grandi à Bordeaux, tu passes en ce moment dans toutes les structures et salles de concerts de la ville ; tu viens également de rentrer dans le label Banzai Lab, très réputé à Bordeaux et qui regroupe nombre d’artistes locaux. Y-a-t-il un autre artiste Bordelais dont tu aimerais faire partager la musique ?

God daaaamn ! Y’en a beaucoup, aie aie, laisse-moi réfléchir… Je dirais Twan Tee, il taffe beaucoup.


Quel album t’as le plus touché ou marqué pour l’instant dernièrement ?

Moi je suis un mec qui est en retard, qui écoute les albums un an après. Par exemple c’est vraiment l’année dernière que j’ai écouté To pimp a Butterfly de Kendick Lamar tu vois, pourtant il est sorti y’a longtemps.

Mais un album qui m’a marqué, je dirais Kanye West My Beautiful Dark Twisted Fantasy. J’ai pas de mot pour le décrire, c’est du hip hop mais alors à un très haut niveau musical.

Il s’est vraiment pris la tête, y’a eu un effort, y’a trop de gens qui ont travaillé sur cet album.

C’est vraiment pour moi une œuvre d’art importante pour le rap. C’est un standard, un classique.


Tu viens de sortir ton dernier clip Run It et en suivant, Cookin’ qui ont tous les deux super bien marché sur internet. As-tu d’autres projets qui arrivent ?

Je vais juste dire qu’il y a plusieurs clips qui vont arriver à une fréquence très régulière.



As-tu quelque chose à ajouter ?

La chose que j’ai envie d’ajouter, c’est : si vous voulez être heureux, surtout passez beaucoup de temps sur vos critères. Vos critères du bonheur, vos critères de ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. Vérifiez si vous êtes bien sur votre route ou si vous êtes sur la route de la mode, celle que les parents vous ont dicté, etc. Faut juste vérifier qu’on garde le cap sur ce qui nous nous rend heureux et amener de la paix aux autres. Nous allons sortir plusieurs séries de clips / single dans l'année et un album en 2020, c'est la petite exclu du jour !


Je tiens encore une fois à remercier Matthieu pour son temps, sa sagesse, ainsi que pour son engagement


 

Julie Vertut & Louise Naudot | 16.04.2019

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